LE PETIT-FILS DU PACHA

Trêve de pipoleries, je ne peux pas continuer ce récit sans vous présenter un peu mieux l’homme de ma vie, celui sans qui je n’aurais peut-être jamais connu la Turquie. La rencontre entre ses parents est des plus romanesques, et je ne résiste pas à l’envie de vous la raconter.

Bien que propriétaire d’un château en Bretagne, la famille de ma belle-mère, la comtesse Madeleine Chéreil de la Rivière, dont j’ai parlé plus haut, n’était plus très fortunée dans les années 30. Son père, breton de vieille souche, aurait pu choisir une vie tranquille dans le château familial, au lieu de quoi il avait préféré tenter l’aventure au bout du monde avec sa jeune femme, plus précisément à Willow Bunch, dans le Saskatchewan, une province du Canada. La jeune comtesse avait eu quelques difficultés à s’habituer à la rudesse du climat canadien. Issue d’une famille d’aristocrates de La Réunion, les champs de canne à sucre, de vanilliers et de plantes à parfum des régions tropicales lui étaient plus familiers que les immenses étendues désertiques de l’empire des bois et des blés.

  C’est ainsi que Madeleine, ma future belle-mère, vint au monde à l’hôpital de Winnipeg, la maternité la plus proche du ranch, en 1908. Elle y passa les deux premiers mois de sa vie, jusqu’à la fonte des neiges, un aussi long voyage en traîneau avec un nouveau-né étant des plus risqués, puisque 390 miles séparent Willow Bunch de la capitale du Manitoba.